Eric SARNER
SORTIR L’OMBRE
ET MONTER LA LUMIÈRE
pour Nad Thiry
Les gens de l’art – je parle des acteurs, des poètes de l’image ou du mot, ceux qui « font » (le verbe grec « poein » a donné « poésie ») – cheminent sur des lignes bordières. J’aime ce néologisme qui doit juste un petit quelque chose à l’anglais borderline. Juste ce qu’il faut et pas plus, je dis bien. Car, c’est au bord des choses que se passe ce qui importe le plus. Au bord de ce qui pourrait ne plus être. Au tout bord de ce qui vous emporterait pour toujours. Ni vu, ni connu, j’t’avale. Un, deux, trois, la Nuit. Totale. Plus de sons au fond des villages, plus de lampions aux rues, plus de souffle aux bouches sanguines des amoureux. Un, deux trois, Noir.
Notez que le noir est toujours présent dans les toiles de Nad Thiry. Comme pour témoigner de lui-même. C’est que, le sachant ou non, elle tient à lui rendre justice. Tout en prétextant s’en servir, elle l’aide à s’affirmer. Le noir vient border le précipice et du même coup enfièvrer la lumière.
Lorsqu’elle parle de « Sortir de l’ombre » - le titre de sa série – Nad utilise un contenu global qui, transmué de sa vie de femme, gicle en force dans son travail de créatrice.
Et voilà que nombre de ces toiles restent « Sans titre ». « Sans titre » ? Qu’est-ce à dire ? Innommables, sans doute, autrement qu’en pigments, taches, pâtés d’huiles ou d’acrylique, peu importe. « Sans titre », avec pour seules précisions les dimensions de l’espace du « combat » : 200x100, 160x120, 80x80. Ainsi, les toiles sont-elles des rings où se sont affrontés, et encore s’affrontent, l’empêchement et l’allant, l’immobilité et le perpétuel mouvement, la mort et la jouissance.
Sortir de l’ombre n’est pas la dissoudre, car sans ombre, quel est le jour ? Au contraire, la braver front à front. « Sortir de l’ombre » comme pour annoncer : je suis là, j’agis, avec les écorchures, l’espace sans fond où gisent en vrac mes doutes et mes douleurs. Exorcisme de l’art qui, de la vertigineuse terreur d’être, parfois, fait de la vie. De la vie pure et qui reste à vous regarder. Car les œuvres de Nad Thiry nous regardent plus encore qu’on ne les observe, nous cherchent et nous trouvent plus encore que nous les rencontrons. Elles chassent en nous, poursuivent au profond, ce qui ne peut se dire en mots. Elles parlent en un silence étourdissant. Regardez ces masses de blanc où le noir a craché sa bave immonde ou sublime, en tous cas sa vérité. Regardez ces membres comme des ossements de saints aussi vivants et précaires que les arbres les plus anciens ? Regardez ces flous gémissants et qui vous adjurent de vous tenir debout. Regardez ces traces de doigts ou de brosse, que sais-je ?, où le gras n’en finit pas de sécher. Regardez ces touches orageuses où les yeux se décentrent pour tenter de voir tout.
Tout cela nous regarde. Intensément. Nous regardent ces contrastes de couleurs. Nous regarde la lumière sourde qui sort des canevas. Une lumière qui vient dire tout en même temps : Oui, ayez peur/Non, n’ayez nulle peur ! Sachez seulement que c’est ainsi. Sachez que je n’ai rien à dire de plus que cela. Sachez que je suis venue pour dire cela.
Qu’au plus loin du « joli », je chante à la lumière mes griffures et, qui sait ? Les vôtres peut-être. À la lumière.
Eric Sarner
Janvier 2010
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